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La mission pour Mars n'aura pas lieu

Publié le par Alexis Magine

Ceci n'est pas une simple déclaration, c'est une profession de foi. Et, puisque je ne serai plus de ce monde quand vous la lirez, il s'agit aussi de mon testament. À moins que vous ayez fait le choix de vivre dans une grotte, coupé de tout et de tout le monde, sans la moindre source d'information, vous saviez forcément qu'il existait un projet de la NASA pour coloniser la planète Mars.

Et que ce projet a été un échec.

Le projet le plus ambitieux de tous les temps de l'histoire humaine. Cet immense vaisseau censé apporter la vie sur Mars a explosé dans l'espace, réduisant à néant des années d'efforts et engloutissant des milliards de dollars dans le vide sidéral. La mission pour Mars n'a pas eu lieu ou, plutôt, elle n'aura pas lieu puisque j'écris ces lignes avant que cela ne se produise.

Et j'en suis le responsable.

Après le succès du premier vol habité à destination de Mars, ou plus exactement de l'une de ses lunes, nous y sommes enfin : la première étape de la colonisation. Nous en avons enfin la possibilité, la technologie, les moyens; plus de vingt années de travail, et presque une dizaine d'années de retard sur les prévisions originelles, regroupant des milliers de personnes et des champs de compétence incroyablement larges, ont été nécessaires. Mais, enfin, l'humanité était prête à tenter cette formidable aventure, et le départ, depuis la station en orbite autour de la Lune, a évidemment été un succès. Un succès scientifique et technologique, un succès politique et médiatique; le triomphe de la science et de la technologie, le triomphe de l'ultra-libéralisme et d'une démocratie qui n'en a plus que le nom depuis trop longtemps. Ainsi que celui des plus puissants groupes de médias qui ont suivi l'événement et l'ont diffusé en direct à la planète entière. La gloire de l'humanité enfin capable de répandre son style de vie dans l'univers, et de l'émerveiller avec son incroyable intelligence.

C'est seulement après que la réussite s'est transformée en catastrophe.

Alors que l'ensemble des médias projetteront encore d'une unique voix leur unique pensée à l'ensemble de la planète, l'inimaginable s'est produit. Parce que c'est à ce moment-là que j'agirais. Pour éviter que mes intentions ne soient connues et empêchées, je ne vous expliquerai pas par quel moyen, comme je ne vous dirai pas qui je suis. Cette déclaration n'est censée être lue qu'une fois les événements produits, mais je l'écris évidemment à l'avance pour la mettre sur un blog crée spécialement à cet effet, avec l'option «publier plus tard». Envoyer ma déclaration sur ce blog sera ma dernière action avant la quarantaine imposée en préparation du départ. Et, bien que ma déclaration sera inaccessible aux futurs lecteurs du blog, comme à l'ensemble des internautes et à l'humanité en général, elle existera cependant et pourra éventuellement être interceptée par des services techniques ou des agences de renseignement. Si cela arrive, ma déclaration ne sera pas publiée, et la mission pour Mars sera annulée, ou simplement reportée s'ils finissent par découvrir mon identité.

J'aurai échoué.

Et l'humanité répandra alors son cancer à travers le système solaire. Mais je ne serai pas le dernier; d'autres prendront la relève, persuadés eux aussi de la justesse de ma vision. Parce que je ne pense pas être le seul à me rendre compte qu'il y a un grave problème sur cette planète. Les consciences s'éveillent peu à peu, des voix s'élèvent, minoritaires malheureusement, parlant dans un désert d'indifférence et d'incompréhension. Beaucoup espèrent qu'il n'est pas encore trop tard; d'autres n'espèrent déjà plus rien, et se délectent même peut-être de voir arriver la fin de cette espèce prétentieuse qu'est l'humanité. La quasi-totalité n'en a rien à faire, et continue son train-train quotidien comme s'il n'avait aucun impact sur son environnement.

Moi, je pense qu'il est trop tard.

Il y a quelques décennies à peine, l'humanité aurait pu changer le cours des choses et peut-être inverser la tendance. Depuis le Sommet de la Terre de Rio en 1992, le grand public a appris que la planète était malade des actions humaines, et si les choses avaient vraiment changé dès ce moment-là, nous aurions sans doute pu survivre à notre propre bêtise. Mais tout a été fait justement pour que rien ne change, parce que ça rapportait de l'argent à certains, parce que le changement a toujours fait peur, parce que l'humanité n'est que lâcheté. Et nous avons continué sur la même voie, en l'empirant même de manière dramatique : déforestation, pollution, saccage des terres ravagées par le béton et les produits chimiques, ainsi que des mers dévorées par le plastique, jusqu'à l'explosion du trafic aérien, vantée comme un bienfait, alors qu'à elle seule, elle démontre l'incommensurable bêtise qui nous guide. Même quand les signes se sont faits de plus en plus visibles, comme la hausse de la température ou le cafouillage des saisons, l'écologie est toujours passée loin derrière la sacro-sainte économie, quand bien même elle n'a toujours profité qu'à une minorité.

Pour des raisons qui paraîtront logiques au premier abord, et qui seront de toutes façons vendues comme telles, mon action passera pour un acte terroriste odieux, qu'on cherchera à imputer à une nation «mauvaise», à une religion ou encore à un courant de pensée arriéré qui refuse le progrès au nom de valeurs dépassées. Même vivant, je n'aurais pu lutter contre le déferlement médiatique qui se serait levé d'une même voix contre moi. Mais je peux au moins, ici, expliquer les raisons de mon acte, et peut-être que quelques personnes me croiront.

La mission pour Mars va emmener à son bord de nombreuses personnes : pilotes, techniciens, ingénieurs, scientifiques, et je suis l'un de ceux-là. Les membres de l'équipage auront pour objectif, en arrivant sur la planète rouge, de déployer un habitacle géant de 15 km carrés. Une bulle d'air au milieu du désert de dioxyde de carbone, un espace de vie qui permettra la première implantation humaine sur la planète, le temps que toutes les machines embarquées, ainsi que celles que nous recevrons plus tard et celles que nous construirons sur place, puissent transformer la planète entière, la terraformer, pour la rendre habitable en un peu plus d'un siècle. Alors, en théorie, une fraction de l'humanité s'envolera pour cette nouvelle Terre, et l'aventure humaine aura fait un pas de géant vers sa soi-disant destinée promise.

Je pense plutôt que, s'il y a encore des survivants sur Terre à ce moment-là, ils viendront, s'ils le peuvent, se réfugier sur Mars. Du moins ceux à qui on permettra de le faire, tandis que les autres resteront sur cette planète condamnée, jusqu'à leur extinction. Et la vie humaine pourra recommencer à zéro, ou presque. On pourrait penser que l'on tire des enseignements de ses erreurs, que l'humanité évolue et apprend. Ou on pourrait constater, comme je le fais moi, que l'humanité répète inlassablement les mêmes erreurs, et refuse d'apprendre quoi que ce soit de son propre passé. Combien de génocides ont déjà été perpétrés ? Peut-on seulement les compter ? Et combien en faudra-t-il encore pour que l'on arrête de considérer ceux de notre propre espèce comme des ennemis ? Un de plus ou de moins n'y changera rien, comme cent, mille ou même cent mille : l'humanité refuse d'apprendre.

Il n'y a pas d'espoir alors ? Non.

Pas pour cette espèce irrécupérable. Le seul espoir se situe ailleurs, dans l'infinité du cosmos. Non pas dans une hypothétique et intelligente vie extra-terrestre, présente ou future, mais simplement dans ce qui existe sous nos yeux : l'univers lui-même. Peuplé de ses milliards de galaxies, et de son infinité de planètes vivantes. Une bonne partie de l'humanité croit encore qu'elle est au centre d'un univers crée pour elle, et qu'elle peut en agir à sa guise, souillant et détruisant son environnement comme s'il n'était que sa propriété; que seule son intelligence peut définir l'intelligence, et que sa conscience de la vie est un phénomène unique. Or nous vivons dans un univers que nous ne comprenons pas, parce que l'essentiel de la vie se déroule à des échelles qui ne sont pas les nôtres. Nous ne sommes que des virus à l'intérieur d'un organisme dont nous sommes incapables de percevoir ne serait-ce que les limites.

Et les pires virus qui soient : ceux qui détruisent l'environnement même qui leur permet de survivre, avant de se répandre dans un autre, puis un autre et encore un autre, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien.

Et je ferai ce que je peux, à mon échelle, pour l'empêcher.

Embarqué comme scientifique pour cette mission, j'attendrai donc que le vaisseau ait quitté la station située en orbite de la Lune pour le détruire. Déjà parce que je ne pourrais pas agir avant, mais aussi et surtout parce que, malgré mes convictions, avoir la mort de tous les membres de l'équipage sur ma conscience me sera suffisamment pénible pour ne pas avoir à en rajouter. La station restera normalement intacte, n'empêchant pas le lancement du prochain vaisseau actuellement en cours de construction, mais j'espère que mon exemple, à défaut de servir de leçon, sera suivi par d'autres. Pour les raisons que j'ai déjà indiquées, je ne révélerai pas la manière dont je vais m'y prendre, mais je peux vous assurer qu'elle est infaillible. Ce n'est pas que les ingénieurs, les techniciens et les scientifiques soient passés à côté, sans parler des batteries de tests, des programmes d'analyses et des simulations. C'est juste que :

La mission pour Mars n'aura pas lieu.

Parce que ma mission va réussir.

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